Convergence des transitions : au feu !

Sep 7, 2022 | Pop Up

Actualités

Cet article a été publié le 7 septembre 2022 par Carmen Rouchet sur LinkedIn.

Quand les incendies sont d’une ampleur aussi importante que cette année, quand on rend compte de la sécheresse avec cette carte de France rouge orangée, quand nos cours d’eau se tarissent sans se remplir à nouveau… Peut-on espérer que l’urgence nous saute aux yeux ? Que nos yeux et nos cerveaux ébahis passent du constat à l’action ?

Après quelques semaines d’infusion du Forum des Usages Coopératifs de Brest (FUC), je souhaitais revenir sur une conférence marquante à laquelle j’ai eu la chance d’assister et qui ne cesse de trouver des échos dans mon quotidien. 

Tous les 2 ans, le FUC rassemble les communautés d’acteurs engagés sur les questions de transitions, de numérique libre et éthique, des communs, de l’éducation populaire, du développement durable et j’en passe. Depuis plusieurs années, on se retrouve pour cogiter, découvrir, échanger mais aussi pour se projeter ensemble dans un futur souhaitable et désirable. Cette année, nous nous sommes intéressés à la convergence des transitions qu’il apparaît nécessaire de penser et de construire pour éteindre l’incendie qui nous menace. 

C’est Laurent Marseault, pompier volontaire, qui nous a offert son regard drôle et bienveillant sur cette question en suspens : comment organiser la convergence alors même que nos organisations et nos sociétés continuent de fonctionner en silos ? alors même que nous souhaitons nous émanciper d’une forme de centralité ? 

Renforcer la collaboration et créer des chemins de traverses 

Libristes, solidaristes, durabilistes : ces communautés qui cherchent et proposent des réponses pour éteindre les feux dressent la liste de leurs enjeux et évoquent des initiatives, des outils et des idées que chacun identifie pour pallier le pire. Car aujourd’hui, avoir une solution et ne pas la partager est un acte criminel. 

Au cœur des échanges, une chose est certaine : nous avançons dans le même sens, vers la même direction mais nous empruntons des chemins différents. Ces chemins, comme les silos, nous font trop souvent nous côtoyer sans nous croiser. Et pourtant, nous allons bel et bien dans la même direction, portés toutes et tous par les mêmes convictions.

Le temps presse, le feu est là. L’heure nous demande d’agir, de travailler sur la porosité entre ces mondes, sur nos liens, sur l’interopérabilité de nos actions. 

Pour réussir le pari de la convergence des transitions, il nous faut co-construire ces chemins de traverse entre les communautés et les acteurs, identifier les liens essentiels qui doivent exister entre les organisations pour renforcer leurs coopérations et trouver quels seront ces connecteurs.

La part du feu, ou choisir ses combats

Choisir c’est renoncer. Sous un autre angle, le renoncement appelle la concentration de forces et de moyens autour d’un choix qui fait sens. 

Et c’est peut-être ici – sur le sens – que nous avons pour habitude d’aller vite en besogne, de continuer à cheminer sur nos acquis sans les remettre en perspectives. Peut-être justement parce que nous allons dans la même direction, nous oublions facilement de partager nos itinéraires, ou de faire des pauses partagées en chemin ? Partant du principe que notre interprétation de la direction sera aussi celle des autres. Espérant (naïvement ?) se retrouver tous ensemble au bout du chemin et au même moment (évidemment). 

Les possibilités sont nombreuses et touffues. Nous évoluons toutes et tous dans des mondes riches de diversité où l’open source côtoie la marchandisation des savoirs, où l’agilité se confond avec l’agitation, où le développement durable se défend du green washing… Sens et contresens. 

La part du feu, c’est être lucide quant à son action, c’est concentrer son énergie sur une priorité identifiée et accepter la frustration de ne pas être en mesure de tout traiter. C’est aussi apprendre à distinguer ce que l’on peut faire de ce que l’on veut faire. 

Toutes les communautés disposent de possibilités et d’une vision mais où se situe leur priorité commune ? Le futur souhaitable ou désirable pourrait être issu de nos possibles identifiés, croisés, transformés, combinés, mais il ne saurait pas émerger sans volonté partagée. S’il s’agit de co-construire ce standard minimum de vision commune qui permettra de mutualiser les possibles, il apparaît crucial de considérer et de penser la place des autres acteurs. Comment interagir avec les communautés qui ne sont pas portées par les valeurs du libre, de la solidarité ou du développement durable ? 

Sans oublier l’ensemble des freins qui se présentent lorsque l’on souhaite créer des passerelles au delà même de nos valeurs : dépasser les biais culturels liés à notre langage ou à nos modes de faire, penser l’articulation entre les initiatives à petite échelle et à plus grande échelle, se défaire des effets du marché et des jeux concurrentiels, raisonner par l’offre ou par la demande…

Valoriser la création de liens, pas seulement la création de projets

« Aujourd’hui, on rémunère les gens pour faire des projets et non pour créer les liens entre les projets » rappelle Laurent. Il est vrai que l’incitation contemporaine n’est pas à la création de liens alors que le constat est souvent le même : la richesse qui nous entoure reste souvent invisible, difficilement identifiable ou palpable. Elle nous échappe car il est difficile de trouver le chemin de traverse (si il existe) qui nous permettra de générer cette rencontre. 

Et quand on parle des liens, de quoi parle-t-on ? De relations ? de contractualisations ? de gouvernance ? De tout à la fois ? Laurent Marseault propose de catégoriser ces liens ou ces connecteurs selon 3 types :

  • connecteurs politiques : cette vision commune qui nous anime !
  • connecteurs juridiques : les codes et les rituels qui nous engagent
  • connecteurs numériques : permettant l’accès à la ressource et au partage de la connaissance 

Et l’humain dans tout ça ? Il me semble qu’il est au cœur du réacteur mais jamais suffisamment considéré comme un facteur de changement. Trop petit et trop insignifiant à l’échelle des territoires. Comment agir lorsque l’on est dépourvu de moyens ? Et de quelle manière lutter contre ce sentiment d’impuissance ? À l’échelle des communautés, comment dépasser l’entre-soi en anticipant les modalités d’entrée et de sortie des individus qui se rassemblent pour agir ? Et au sein même de ces communautés, comment résoudre l’équation entre le mode “production” et le mode “connexion” ? À l’échelle territoriale, comment mieux valoriser l’existant tout en s’assurant de la bonne (et juste ?) cohabitation entre les communautés ?  

Être acteur d’un archipel : repenser sa relation aux autres

Et si, pour éteindre le feu, la notion d’archipel était essentielle ? Dans un archipel, il n’y a pas une centralité aux commandes mais plutôt des acteurs ayant des incidences les uns sur les autres. Ils apprennent ensemble à réagir et s’organisent pour gérer l’imprévisible en trouvant les réponses à ces questions : comment vais-je transformer l’autre ? Comment l’autre va-t-il me transformer ? Sans centralité, c’est la force des liens avec les autres qui pourrait nous permettre d’agir en faveur d’une convergence des transitions.

Si l’idée d’appartenir à l’archipel des acteurs qui portent les transitions écologique, démocratique, sociale, me permet de réaffirmer le sens de nos actions en faveur des territoires : impliquer les écosystèmes et les bénéficiaires dans la conception des services qui s’adressent à eux, faire émerger et animer des communautés locales autour de ressources communes, amplifier la diffusion et le partage des apprentissages et des savoirs… j’identifie également les défis qui s’esquissent : 

  • pour co-concevoir ces passerelles qu’elles soient politiques, juridiques ou portées sur le partage de la connaissance, 
  • pour pérenniser et renforcer ces liens, trouvant des équilibres cohérents entre ouverture et fermeture, entrée et sortie, production et connexion, etc.
  • pour orchestrer l’ingénierie territoriale nécessaire à l’appropriation du territoire et à la connaissance des dynamiques qui le font vivre,
  • pour faire en sorte que “le développement” soit une affaire de liens autant que de projets.

Pour conclure et toujours dans la continuité de cette réflexion, je vous livre ici les actions qui vont occuper mes prochaines semaines (mois ? année ?) : 

  • cartographier et repartager les sujets qui donnent du sens à nos actions,
  • identifier et capitaliser sur les liens existants liés aux actions POP Up, renforcer certains connecteurs : 
  1. l’accueil et l’intégration des nouveaux venus chez POP, 
  2. le lien avec les autres activités du groupe POP pour mutualiser nos apprentissages et nos compétences,
  3. la charte des contributeurs pour l’ouverture du collectif de contributeurs POP Up, 
  4. la mise en visibilité, l’hébergement et le partage de communs
  5. nos relations avec d’autres collectifs pour mieux identifier nos compétences et nos convictions, nos zones de recouvrement et nos apports mutuels. 
  • donner tout simplement plus de temps et d’énergie dans la considération, la création et l’entretien des liens !

Cette conférence à été enregistrée et elle est accessible ici. On en parle bientôt ? 

Merci à l’inspirateur de cet article ! 

Laurent Marseault est animateur, formateur, consultant. Spécialiste de la gestion des groupes et de l’animation de collectifs coopératifs. Animateur d’Outils Réseaux, association dont l’un des objectifs est d’initier et d’accompagner les pratiques coopératives, en s’appuyant sur des outils Internet.

POP Up

Design de politiques publiques, innovation sociale et numérique, tiers-lieux

Découvrir plus d’articles autour de la thématique