Coopératives de médiateurs : une série de 4 articles

Oct 6, 2022 | Pop

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Ces dernière semaines, Emmanuel Vandamme, Président / Coordinateur du groupe POP, a publié une série de 4 articles sur LinkedIn sur le sujet des coopératives de médiateurs, qui agiraient en proximité et en subsidiarité des acteurs en place, au service d’une transition numérique inclusive de nos territoires Retrouvez cette série d’articles #CoopNum ici et participez au groupe de travail qui va être mis en place sur le sujet.

Coopératives de médiateurs (1) : un chaînon manquant pour la transition numérique inclusive des territoires

Chapitre 1 ou Comment faire converger structuration de la filière de la médiation numérique, pérennisation des CNFS, gouvernances locales, collaborations publiques-privées et modèles économiques robustes, en opérant localement les services indispensables à une transformation numérique inclusive de nos territoires ?

En quelques années, le paysage de la médiation numérique s’est considérablement développé. En 2017 les acteurs du secteur et l’Etat ont fondé la MedNum à l’échelle nationale. Depuis 2019 les hubs numérique inclusif ont permis de disposer d’un maillage régional précieux pour coordonner initiatives privés et politiques publiques. Certains hubs expérimentent la création de points d’appui locaux, pour décliner leurs actions à l’échelle départementale ou métropolitaines et se rapprocher des opérateurs de terrain. La création de 4000 postes de Conseillers numériques France service (CNFS) en 2021 et 2022 a permis de doubler le nombre de professionnels de terrain répondant au besoin croissant d’accompagnement au numérique.

Il reste cependant un chaînon manquant entre ce début d’organisation de la filière et les acteurs de terrains, parfaitement illustré par la situation d’une proportion significative de CNFS : isolés, peu encadrés, sous équipés, disposant d’une faible liberté d’action, certains rencontrent des difficultés à trouver leur public et à mener à bien leur mission, malgré une demande manifeste. Les dispositifs de formation de ces conseillers se sont, à l’usage, révélés insuffisants et leurs conditions de travail ne leur permettent que rarement de disposer au quotidien d’un environnement apprenant, dans un domaine où la montée en compétence continue et l’échange entre pairs sont pourtant indispensables. Au delà des CNFS, les dispositifs majeurs impulsés ces dernières années par l’Etat pour outiller la médiation numérique ne peuvent fonctionner qu’à la condition que les acteurs s’en emparent et qu’il y ait une véritable animation au niveau local (comme l’illustre très bien Eglantine Dewitte avec la notion de médiation numérique en circuit court) mais pour cela, encore faut-il disposer de tels acteurs qui font défaut sur de nombreux territoires.

Il manque une articulation dans l’écosystème de la médiation numérique, entre les lieux de terrain et les réseaux régionaux et nationaux désormais bien structurés : des coopératives de proximité, assurant coordination d’actions et mutualisation de moyens, impliquant les acteurs locaux dans leur gouvernance, qui assurent les derniers kilomètres du déploiement des dispositifs d’Etat

Les collectivités locales mesurent désormais l’importance d’assurer une meilleure appropriation du numérique par les acteurs de leur territoire : citoyens, associations, TPE, acteurs éducatifs, culturels, professionnels de santé… A la faveur de politiques d’Etat volontaristes et foisonnantes (CNFS, Aidants connect, pass numérique, AMIs de l’ANCT ou de la Banque des territoires) et dans la perspective de dématérialisation totale de l’administration, elles sont interpellées sur les enjeux d’inclusion numérique et se posent la question de la gouvernance locale de leurs actions. Le sujet a en effet la particularité d’impliquer tous les niveaux de territoires et les acteurs privés, encore peu sollicités. Des initiatives comme les Coordinations territoriales d’inclusion numérique (CTIN) voient le jour et posent les bases d’un nouvel étage de la coordination de l’inclusion numérique en France.

En 2022, sous l’effet combiné des crises sanitaires, écologiques et géopolitiques, l’enjeu auquel fait face le secteur n’est plus seulement de faciliter la dématérialisation de l’administration française mais bien d’accompagner la transition numérique inclusive de chaque territoire. En plus d’aider les citoyens dans leur démarches en ligne, il est nécessaire aujourd’hui de disposer d’une offre de service d’intérêt général qui permette d’outiller tous les acteurs économiques, sociaux, culturels locaux, de renforcer leur pouvoir d’agir sur et par le numérique. En faisant le pari ambitieux d’une réelle appropriation du numérique par tous les acteurs du territoire, en pivotant d’une transformation subie à une reprise en main s’ouvre aussi un vaste champ d’action pour une économie sociale et solidaire. Pour ne citer qu’un exemple, le déploiement des plateformes coopératives représente à la fois un enjeu majeur en terme de souveraineté et une formidable opportunité de relocalisation de la valeur (j’y reviendrai dans un prochain chapitre).

Pour répondre à l’enjeu considérable de l’inclusion numérique en France, il apparaît donc aujourd’hui nécessaire de compléter l’écosystème existant par des structures de proximité, qui coordonnent ou opérationnalisent les dispositifs publics et mobilisent les financements privés. Points d’appui des hubs numérique inclusif régionaux, structures d’accueil et de montée en compétences des Conseillers numériques France services pour le compte des collectivités locales, plateformes de mutualisation de moyens et d’animation des réseaux locaux de médiation, ces opérateurs coopératifs ont vocation à regrouper de 10 à 20 professionnels de l’inclusion et de la transformation numérique, sur des échelles de territoire de 100 à 400 000 habitants. Ce qui permet d’envisager 140 à 180 coopératives numériques de proximité, en consolidation et subsidiarité avec le réseau de lieux existants qui pourraient mailler le territoire, répondre à l’enjeu crucial des derniers kilomètres de la transition numérique et venir couronner 5 années d’effort de structuration de la filière.

Coopératives de médiateurs (2) : la suite logique de la structuration de la filière de l’inclusion numérique

Chapitre 2 ou Comment poursuivre le travail de coordination, de mutualisation et de professionnalisation de la filière de la médiation numérique en favorisant l’éclosion d’acteurs locaux articulés avec les hubs numérique inclusif à l’échelle régionale et la MedNum à l’échelle nationale

En 2017, nous étions une cinquantaine d’acteurs de la médiation numérique à constater les limites de nos actions de terrain et à proposer une nouvelle forme d’organisation du secteur. Cette initiative collective a donné lieu à la création de la MedNum, première SCIC à bénéficier d’un investissement de l’Etat, initiant un espace de collaboration très structurant entre pouvoirs publics, acteurs privés et opérateurs de terrain. Après 5 ans d’activité, ce projet coopératif a montré toute sa pertinence, il a permis de rassembler les principaux acteurs du secteur, des collectivités, des acteurs privés d’horizon très différents, pour mener des projets de mutualisation et de structuration.

En 2019, les hubs numérique inclusif ont vu le jour à l’échelle régionale, dans le cadre de la première stratégie nationale pour un numérique inclusif. Répondant à un besoin manifeste de coordination et de changement d’échelle, ils s’adaptent à chaque contexte et sont portés par des groupements d’acteurs publics ou privés, des associations ou des coopératives d’intérêt collectif telles qu’Hubik en Aquitaine ou Les Assembleurs en Hauts-de-France. Les hubs mettent en œuvre des actions d’accompagnement de projet, de montée en compétence des professionnels, d’animation de réseau et de mutualisation de ressources, destinées à tous les acteurs impliqués dans des dispositifs d’inclusion numérique. Ils constituent des opérateurs ou des relais indispensables aux politiques publiques qui se sont développées depuis plusieurs années et accélérées à la faveur de la crise sanitaire : pass numérique, CNFS, Aidants connect, AMI et appels à projets de l’ANCT ou de la Banque des territoires.

Cet effort collectif de structuration nationale et régionale, porté par une volonté politique évidente et une réelle mobilisation de l’ensemble de la filière, apparaît aujourd’hui comme une condition nécessaire mais pas suffisante. A titre d’exemple, Les Assembleurs mobilisent aujourd’hui plus de 60 partenaires locaux dans la gouvernance ou la mise en œuvre de leurs actions, bénéficient de financements européens significatifs qui permettent de constituer une équipe de bientôt 20 professionnels ; ils initient des projets sectoriels dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’accompagnement des TPE. L’impact de la SCIC sur le territoire régional est largement reconnu, il s’agit sans doute à ce jour du hub le plus structuré, mais son action ne sera pas suffisante pour accompagner un territoire régional de 6 millions d’habitants dont une majorité se déclare en besoin d’accompagnement sur le numérique !

A ce jour, les Hubs n’ont pas la capacité d’encadrer directement les médiateurs et aidants disposant des ressources et de la formation nécessaires pour répondre à ces défis. Ils accompagnent les opérateurs de terrain, facilitent leur montée en compétence et dans certains cas leur passage à l’échelle, mais n’ont pas de prise directe sur la mise en place d’actions de médiation. Pour cela ils ont besoin d’acteurs relais, dont ils participent activement à la gouvernance, qui assurent les derniers (et précieux) kilomètres dans le déploiement de projets et qui puissent accueillir des médiateurs•trices.

Plusieurs hubs comme Francil’in et HubEst se sont déjà engagés dans la mise en place de points d’appui à l’échelle départementale, en faisant le constat que leurs services, actions et projets sectoriels ont besoin d’être relayés par des acteurs disposant d’une visibilité, d’une légitimité et d’une capacité d’action locale. Comme les hubs, ces acteurs locaux agissent en subsidiarité, ce sont parfois des opérateurs de médiation disposant d’assez de ressources et de compétences d’ingénierie pour assurer ce rôle, parfois des tiers-lieux déjà engagés dans des enjeux de transition de leur territoire et qui s’emparent de la question du numérique.

De nombreux dispositifs des hubs et de la MedNum n’atteindront pleinement leurs objectifs que s’ils peuvent s’appuyer sur de tels acteurs de proximité. C’est le cas de la de cartographie des lieux de médiation permise par le standard de données, des programmes d’accompagnement tels que l’Accélérateur qui vise à renforcer et visibiliser les actions de médiation locale à travers une programmation coordonnée, ou encore des initiatives prises par plusieurs hubs en matière de mutualisation de ressources pédagogiques et de création de communs numériques.

La plupart de ces points d’appui existants ou potentiels emploient ou accueillent déjà des Conseillers numériques France services, et participent à l’animation locale des réseaux de CNFS dont une partie sont aujourd’hui peu encadrés et rencontrent des difficultés à trouver leur public, malgré une demande évidente. En se concentrant sur le financement des postes, ce qui dans le contexte du plan de relance avait tout son sens, peut-être risque-t-on de perdre de vue l’enjeu central des compétences, des spécialisations, de la formation continue, de l’encadrement et de l’ingénierie qu’il conviendrait de déployer pour permettre aux médiateurs et conseillers de répondre aux défis de l’époque. Il suffirait d’une inflexion du dispositif CNFS pour optimiser le nombre de structures employeuses, sans déposséder les collectivités de la ressource précieuse pour leur territoire que représentent ces conseillers.

Le fait de constituer des équipes locales de conseillers a par ailleurs des effets positifs immédiats et évidents en matière de conditions de travail, de montée en compétences, de possibilité de spécialisation (une vraie question face à l’éventail grandissant des besoins) et in fine de montée en qualité de l’offre de médiation. Malgré une réelle appétence pour le dispositif des CNFS, une manifeste volonté et une évidente légitimité à s’engager en faveur de l’inclusion numérique, les collectivités ne constituent peut-être pas le cadre idéal pour accueillir des professionnels de l’inclusion numérique. La coopérative d’intérêt collectif est une des modalités (c’est à mon avis la plus adaptée mais ce n’est pas la seule) permettant aux collectivités de jouer rôle de pilotage tout en offrant un cadre d’action souple et émancipateur pour les médiateurs•trices.

En parallèle, de nombreux acteurs publics réfléchissent à la question de la gouvernance locale de l’inclusion numérique, impliquant forcément plusieurs niveaux de territoires. Certains se lancent dans des “coordinations territoriales pour l’inclusion numérique” (CTIN). D’autres se coordonnent à la faveur de dispositifs de financements publics ou privés, dans un contexte où de plus en plus de grandes entreprises ont parfaitement conscience des enjeux de transition numérique et de l’impact de la médiation sur leurs activités. La création des CNFS a également renforcé le besoin de coordination locale, assurée par des conseillers dédiés ou par des opérateurs disposant de capacité d’ingénierie et d’animation de réseau.  La mise en place de ces “mini-hubs” que sont les coopératives de médiateurs offrirait un interlocuteur disposant d’une taille critique à tous ceux qui aujourd’hui se lancent dans des CTIN, dans de la coordination des CNFS ou tentent de se coordonner à la faveur de financements ou projets structurants.

Pour répondre au besoin croissant d’accompagner les citoyen•ne•s et les organisations dans une nécessaire maîtrise du numérique, il apparaît donc aujourd’hui nécessaire de consolider l’écosystème existant par des structures de proximité, des espaces de coopération au service de leur territoire. Nous avons la chance de disposer en France d’une coopérative nationale des acteurs de la médiation numérique appuyée par l’Etat et les collectivités. Nous bénéficions avec les hubs numérique inclusif d’une infrastructure régionale unique en Europe. Reste un troisième niveau à structurer à l’échelle locale dans cette même logique de convergence entre pouvoirs publics et acteurs privés : un réseau de coopératives de médiateurs ancrées dans leur territoire, en appui aux opérateurs locaux, connectés aux dispositifs structurants et aux réseaux régionaux et nationaux pour assurer un maillage solide du territoire.

Coopératives de médiateurs (3) : la transformation numérique des territoires comme opportunité de consolidation du secteur

Chapitre 3 ou Comment dépasser l’urgence sociale de l’inclusion numérique : en 2022, sous l’effet combiné des crises sanitaires, écologiques et géopolitiques, l’enjeu auquel fait face le secteur de la médiation numérique n’est plus seulement de faciliter la dématérialisation de l’administration française mais bien d’accompagner la transition numérique inclusive de chaque territoire. Un changement de référentiel qui offre des opportunités de consolidation dont pourrait se saisir le secteur.

On ne connaît que trop bien la dynamique à l’oeuvre aujourd’hui. Le numérique qui transforme chaque aspect de nos vies, laisse de côté une part grandissante de la population, complique le quotidien de ceux qui n’ont pas les moyens ou pas l’envie de monter à bord. Les acteurs publics qui raccrochent les wagons d’un train qui accélère mais dont les locomotives sont hors de leur champ d’action, faute d’avoir posé à temps les bases d’une réelle souveraineté numérique.

Et si on se replaçait du côté des territoires, des quartiers prioritaires, des zones rurales, des petites villes et des périphéries ? N’y aurait-il pas dans cette transformation globale une réponse locale à imaginer ? Plutôt que de financer les indispensables voiture balais, pourquoi ne pas faire le pari ambitieux d’une réelle appropriation du numérique par tous les acteurs du territoire et passer d’une transformation subie à une reprise en main ?

Les 250 millions d’euros du plan de relance consacré à l’inclusion numérique ont été le signal de la prise en compte de l’importance des besoins sociaux. Mais ces moyens restent insuffisants pour assurer sur le terrain une transformation numérique apaisée en matière de santé, d’éducation, de consommation énergétique, de travail ou de développement économique. Car aujourd’hui, ce sont bien les médiateurs et médiatrices, les conseillères, les aidants numériques qui sont en première ligne d’une transformation complexe à prendre en compte, parfois brutale et excluante, générant des externalités négatives qu’il est urgent de limiter, mais aussi vecteur d’une innovation sociale qu’il est urgent de potentialiser. Et ce contexte entraîne une cohorte de conséquences pour les professionnels concernés, qui devront monter en compétences, parfois se spécialiser, et faire preuve de capacités d’adaptation.

En considérant l’inclusion numérique comme un sujet en tant que tel, décorrélé de la question de la transition numérique des territoires, nous passons à côté d’une opportunité de développement économique du secteur. En plus d’aider les citoyens dans leur démarches en ligne, il est nécessaire aujourd’hui de disposer d’une offre de service d’intérêt général qui permette d’outiller tous les acteurs économiques, sociaux, culturels locaux, de renforcer leur pouvoir d’agir sur et par le numérique.

Aujourd’hui, qui opère ce type de services de proximité ? Qui offre une vraie réponse locale, accessible et de qualité, au boulanger qui veut lancer une boutique en ligne, au projet d’ERP d’une TPE, à l’association qui s’équipe d’un CRM ? Qui aide les équipements publics à être visibles sur les réseaux sociaux, et les réseaux sociaux à prendre en compte les réels besoins des acteurs territoriaux ? Qui organise localement les circuits court du réemploi informatique pour minimiser l’impact écologique du numérique en offrant du matériel reconditionné accessible ? Qui propose des formations numériques adaptées aux acteurs associatifs, éducatifs, culturels ? Les ESN et agences web n’ont pas vocation à accompagner ce type de microprojets de faible rentabilité, et ne répondent que très rarement aux demandes. De nombreux CNFS sont interpellés sur ce type de besoins mais leur cadre d’intervention ne leur permet pas aujourd’hui d’y répondre. Restent des indépendants, parfois fédérés au sein de réseaux ou franchises (je pense à Mon Assistant Numérique qui assure un travail de qualité sur de nombreux territoires) mais aux moyens limités et encore peu connectés à l’action publique.

De nombreux besoins solvables restent mal couverts, des besoins sociaux auxquels peuvent répondre des offres économiques bien pensées, autrement dit un vaste champ à explorer pour l’économie sociale et solidaire.

Ces services ne constituent pas le coeur des besoins sociaux de la médiation numérique, mais ce sont des besoins participant à la transformation numérique du territoire, et en tant que tel, ils revêtent un intérêt collectif. Encore mieux : ils offrent la possibilité d’une économie résidentielle du numérique, d’une re-territorialisation de la valeur générée par le numérique. Si l’équipement numérique des acteurs des territoires se résume à alimenter les Gafam, nous n’aurons fait que la moitié du chemin. L’enjeu est de relocaliser la production de ces services dans les coopératives de médiateurs et de s’appuyer sur des infrastructures collectives et des plateformes coopératives qui, comme le rappelle Alexandre Bigot-Verdierconstituent une réelle alternative à la montée en puissance des géants du numérique, et représentent un grande chance de développement à tous les territoires, ruraux, comme urbains. (…) Les plateformes coopératives correspondent à une utilisation nouvelle de ces technologies inspirées des statuts et des valeurs de l’économie sociale, elles sont construites au service de la collaboration locale et donnent un rôle actif aux collectivités territoriales dans un esprit d’intérêt collectif.” (cf. https://platformcoop.fr/)

En s’appuyant résolument sur les plateformes coopératives, le secteur de la médiation numérique a l’opportunité de générer une économie locale nouvelle. Dans le cadre de la crise sanitaire, les plateformes coopératives font la preuve de leur utilité et contribuent à mettre en place une résilience locale dans de nombreux domaines : alimentation et circuits courts, entraide entre citoyens ou entre entreprises, mobilité et logistique urbaine… Il leur manque toutefois de réel points d’appui, des acteurs capables d’assurer les derniers kilomètres des services numériques coopératifs qu’elles proposent.

L’équation est au final assez simple : nous avons d’un côté un besoin mal couvert et de l’autre côté des acteurs compétents et des infrastructures sociales performantes. Une part significative des acteurs de la médiation sont aujourd’hui corsetés par des financements publics rendant complexe la facturation de services d’intérêt général alors même que ces besoins existent et participent à la pérennisation du dispositif des CNFS.

Que manque-t-il aujourd’hui pour faire le lien et opérer concrètement cette transformation numérique inclusive des territoires, passer d’un référentiel d’inclusion à un référentiel de transition ? Des structures capables de répondre à un besoin social tout en s’inscrivant dans une logique économique de prestation de service, dont la gouvernance implique les acteurs publics et privés concernés : le modèle existe, c’est celui de la coopérative d’intérêt général.

Coopératives de médiateurs (4) : on passe à l’action ?

Chapitre 4 ou Comment passer de l’idée à la mise en œuvre ? Les coopératives de médiateurs pourraient devenir des opérateurs autoporteurs de l’inclusion numérique et de la transition numérique inclusive des territoires, à l’échelle des bassins de vie ou des départements. Encore faut-il les faire émerger en prenant en compte la diversité des territoires. Quelques pistes de réponses à 5 questions sur les modalités de mise en œuvre…

Quelles activités ? L’idée des coopératives de médiateurs repose sur le principe de faire converger dans une structure unique 3 types d’activités complémentaires :

  1. Des activités de médiation, en subsidiarité des acteurs du territoire : animations mobiles, interventions sur des thèmes spécifiques non couverts, mise en oeuvre de partenariats structurants avec des acteurs publics ou privés qui financent des démarches d’inclusion et de médiation numérique. La coopérative est un “super-opérateur” disposant d’une équipe de 5 à 15 médiateurs•trices, d’équipements mobiles.
  2. Un rôle d’animation de réseau et d’ingénierie : repérage et cartographie, montée en compétence des acteurs, mutualisation de fonctions support, aide au montage de projet. Ces actions sont similaire à celles d’un hub régional, elles peuvent mobiliser des ressources des hubs ou s’articuler avec l’offre de service régionale ou nationale (La MedNum).
  3. Des activités marchandes relevant de l’ESS (Economie sociale et solidaire), en réponse aux besoins d’équipement numérique non ou mal couverts par l’offre existante. Pour ne prendre qu’un exemple parmi bien d’autres, les coopératives de médiateurs pourraient parfaitement proposer une offre de premier niveau et accessible en matière de cybersécurité des associations (cf. Chapitre 3 pour d’autres exemples).

Quel modèle économique et quels transferts de moyens ? L’un des enjeux évident du secteur de la médiation numérique réside dans l’évolution de ses modèles économiques. Bonne nouvelle : les perspectives sont plutôt encourageantes, à partir du moment où on acte que le périmètre d’intervention de ces nouveaux acteurs n’est plus uniquement l’accompagnement des publics les plus éloignés mais aussi la réponse aux besoins de montée en compétences ou même de services numériques de premier niveau (sur lesquels les médiateurs•trices sont régulièrement sollicités et qui pour certains constituent déjà un complément d’activité). Sur le coeur de métier que constitue l’inclusion numérique, l’équation économique ne peut être résolue sans un transfert de moyens, que pourrait permettre une évolution du dispositif CNFS, à savoir le transfert des ressources et des charges des collectivités employeuses à ces acteurs locaux : cette logique de coopératives de médiateurs (des SCIC locales qui pourrait être complétée par une coopérative d’activité et d’emploi (CAE) à l’échelle nationale), répondant en bonne partie aux enjeux de pérennisation qui se posent aujourd’hui, en articulant missions de service public, d’intérêt général, et d’accompagnement aux usages des services numériques privés. Ces SCIC peuvent porter des postes de médiateurs/conseillers mais aussi dans certains cas se limiter à des coopératives de moyens pour mutualiser un équipement (lieu, dispositif mobile, etc.)

Quel dispositif de soutien à ce nouvel et dernier échelon de structuration du secteur ? Il n’est évidemment pas souhaitable d’uniformiser les pratiques, statuts et modes d’organisation. Mais il est nécessaire de trouver les points communs qui permettent à ces acteurs d’être reconnus, soutenus, connectés entre eux et avec les autres échelles de coordination. Le dispositif des Fabriques de territoire constitue sans doute un bon exemple dans le dimensionnement économique, en y ajoutant la prise en compte des investissements numériques mutualisés. La mobilisation de ces financements qui ne représentent qu’une fraction du budget de fonctionnement des opérateurs doit impliquer l’Etat mais aussi régions et départements. Il s’agit, comme pour les hubs, d’un financement d’amorçage permettant de lancer une activité qui a vocation à trouver son modèle économique, intégrant financements publics et recettes propres liés à la vente de service.

Quelle échelle territoriale ? Si l’échelle intercommunale apparaît trop limitée, le département peut dans certains cas être trop vaste, notamment en zone dense. Dans les 13 régions métropolitaines, un réseau de 9 à 12 coopératives pourrait être une bonne échelle en termes de répartition et de capacité d’animation régionale. En prenant en compte les 5 régions ultramarines dont les échelles sont variables mais les besoins particulièrement importants, on pourrait imaginer un réseau national de 140 à 180 opérateurs.

Quel statut ? Pour répondre à cet enjeu d’intérêt général impliquant une grande variété de parties prenantes, la forme SCIC revêt un caractère d’évidence : elle répond à des exigences de gouvernance partagée, permet l’implication d’acteurs publics tout en maintenant une grande souplesse d’action, et répond aux enjeux de mixité de modèle économique permis par la constitution de fonds propres. La SCIC ne représente qu’une forme d’organisation parmi d’autres, les CAE ont un rôle à jouer, et certains territoires ont déjà entrepris ce type d’organisation sans passer par une forme juridique. Le format de SAS ESUS peut également répondre à des exigences similaires. Le statut associatif, qui permet l’évolution en SCIC à terme, peut constituer une alternative ou un préalable certaines organisations.

Ces questions de moyens que représentent les statuts, le modèle économique et la bonne échelle doivent être mis au service de la finalité à laquelle ces nouveaux acteurs doivent répondre, et qui est spécifique à ce niveau d’action : être opérateur d’une transition numérique véritablement inclusive, au service de territoires qui reprennent la main sur les transformations profondes en cours, en redonnant aux citoyens et à tous les acteurs de la société du pouvoir d’agir sur et avec le numérique.

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